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J. Ellul, La subversion du christianisme introduction à sa pensée : Nihilisme et christianisme...

Photo du rédacteur: Donald FinnieDonald Finnie

Jacques Ellul, La subversion du christianisme Première introduction à sa pensée : Nihilisme et christianisme… Chapitre 7 : Nihilisme et christianisme, Seuil, 1984, pp. 161ss. 1) Thèses d’Ellul 1.1 Par nihilisme, Ellul n’entend pas une réflexion théorique ou philosophique concernant la conception de la vie, mais le nihilisme vécu, càd une « certaine attitude devant la vie ». Depuis le nihilisme nazi, il y a, pour Ellul, une sorte de « développement polymorphe d’un nihilisme mondial » (161). 1.2 Forme du nihilisme actuel : le nihilisme actuel est synonyme de « perte de sens ». C’est le sentiment de l’absurde qui nous prend à la gorge. Aucune valeur ne vaut la peine d’être vécue… ; le nihilisme met en doute et en question, il désagrège ce qui fait notre monde, ce que l’homme occidental avait institué comme valeurs de référence : aussi bien la justice et la vérité que ce qu’il avait péniblement élaboré pour arriver à donner du sens à son existence (grâce, notamment, à l’apport de la religion). Le nihilisme est le résultat d’un double constat : d’une part, il n’y a plus de valeur dominante, suffisante pour « s’imposer » et structurer les individus et les groupes ; de l’autre, l’homme moderne ou post-moderne est comme dévitalisé… : il n’a plus assez de force, de vigueur, d’énergie, de conviction, pour reconstituer des valeurs nouvelles, les élaborer et instituer un nouveau cadre de vie, une nouvelle possibilité de sens. De nos jours, chercher un sens paraît plutôt une faiblesse, une folie, une déficience intellectuelle. 1.3 Caractéristique du nihilisme actuel : il est associé à la puissance. Rien ne peut prédire son effondrement. Il ne conteste pas les structures de fer de notre économie, de notre technique. Il est la réplique exacte du productivisme, de la consommation, de l’efficacité. Le nihilisme, c’est l’annonce du triomphe de l’objet, de la fin de l’homme qui ne serait, au fond, qu’un accident (Foucault) ; le nihilisme est la célébration du Rien… D’où aussi l’existence d’un nihilisme politique, caractérisé moins par des doctrines extrêmes que par l’impuissance de l’action, l’incapacité d’affronter la réalité telle qu’elle est. 1.4 Nihilisme et christianisme : Tout au long de son histoire, le christianisme a entretenu des rapports ambivalents avec le nihilisme. Il a voulu le surmonter et dépasser le pessimisme par l’affirmation d’un Dieu créateur, présent et agissant dans l’histoire, bienveillant envers les hommes, leur donnant sens et orientation dans la relation et les instituant en responsabilité (171ss.). Dans son geste inaugural, la foi chrétienne ne laisse donc pas l’homme se débrouiller « seul dans le monde, sans guide, sans espérance et sans présence » (173). Mais, dans les faits, le christianisme a largement contribué à l’émergence du nihilisme. L’impact du christianisme sur la société n’a donc pas correspondu à ce que les prémisses de la foi pouvaient donner à espérer (163). Pour Ellul : « Même s’il n’est pas le seul responsable, le christianisme est à la racine de tout le mal historique du nihilisme moderne » (164). Car, dans ses effets historiques, le christianisme fut porteur d’une dimension nihiliste. Il a contribué à atrophier et supprimer les connexions, les conjonctions entre le Ciel et la Terre ; il a engendré une Terre où les dieux sont absents, une Terre où il n’y a plus ni sens ni sacré. 2 N’oublions pas que la fonction du sacré est de garantir le milieu vital contre les emprises forcenées de l’homme. La fonction du sacré est de susciter le respect… (166). Le monde naturel est vu désormais comme un amas de biens et de ressources qui n’entraînent que manipulation et banalisation. Dès lors plus de limites. L’homme peut faire n’importe quoi… (plus de tabou, plus de domaine interdit. Tout peut être utilisé et tout peut se faire !). Comment en est-on arrivé là ? Sur sol chrétien, trois motifs ont contribué à l’essor du nihilisme contemporain : 1.4.1 Une conception de la transcendance qui ne prend pas suffisamment au sérieux l’incarnation et qui se trouve déconnectée de la réalité du monde. Le Dieu judéo-chrétien est alors affirmé comme Tout autre, comme un principe absolu tellement autre qu’il n’est plus en lien avec la Terre. Si Dieu est à ce point épuré, abstrait, caché, insaisissable, l’homme, du même coup, se trouve ramené à sa seule dimension terrestre, d’une certaine manière, rabaissé. Ce n’est pas « si Dieu est mort, tout est possible », mais « si Dieu est dans son Ciel, alors l’homme n’a qu’à se débrouiller tout seul ». Certes, on ne saurait récuser un Dieu dont le nom est imprononçable, considéré comme l’Insaisissable qui, à distance, remet en question et disqualifie toute construction humaine… Mais la Transcendance signifie alors l’évacuation de Dieu hors du monde et la remise du monde à lui-même, à sa profanité, sans arrière-plan, ni profondeur, sans troisième dimension. 1.4.2 L’affirmation d’une Transcendance qui justifie la désacralisation du monde, la relativisation de tout ce qui relève du monde et légitime la non-valeur de l’homme et du créé (165). L’homme est alors laissé à ses propres forces, sans remparts, désemparé…, sans idéal, ni lien vertical. L’absolu non contraignant de la révélation détruit alors le sacré inventé par l’homme, déconstruit la sacralité par laquelle l’homme cherchait à se protéger et se donner du sens, en ne lui proposant, en échange, rien d’autre que la foi… Or, nous dit Ellul (183) : « il est parfaitement intolérable pour l’homme de vivre dans un univers religieusement désert, dans un monde désacralisé » ; il « lui faut une religion et le malheur c’est qu’il se précipite sur la première venue… Il refait de la révélation de Dieu une religion, chargée de légendes, de mythes, de mystères, d’extases et de religiosité ». Il en va de même pour la morale : si le christianisme est de part en part une anti-morale, le Dieu biblique est présenté comme le critique et le négateur des morales élaborées par et pour le corps social (166). Or, c’est une telle désacralisation du monde qui a permis, pour le meilleur et pour le pire, le développement des techniques et l’exploitation du monde sans limites. L’homme se pense sans limites et imagine que tout est possible, que tout est permis, qu’il est le seul exploitant de la terre… L’homme a toute liberté pour exploiter à mort cette terre ; il est même désigné par Dieu pour le faire ; ce qu’il fait est donc légitime. Mais, hélas, ses actions sont faussées et tordues, étant donné son statut de pécheur. L’homme est porteur d’un mal absolu qui réside en lui. Tout est « mal fichu » et doit donc être effacé et transmué… Cela n’enlève pas la responsabilité d’action de l’homme, mais cela le plonge dans une ambiance délétère, culpabilisante et annihile sa joie et sa raison de vivre (168). Ainsi, la négation du monde se combine avec la négation de soi-même. La destruction du sacré provoque l’émergence d’un nihilisme envers la nature, l’être humain et la société. 1.4.3 L’affirmation sans réserve du péché : l’homme devant Dieu est alors écrasé par le poids du péché, incapable par lui-même de faire quelque chose de bon, de positif, pour lui et ses semblables (167). L’homme ne peut rien par lui-même, il ne peut atteindre aucun bien, aucun beau, aucune vérité. Tout est pourri et falsifié dès l’intention. Dans ces conditions, comment ne pas acquérir la conviction que l’homme est mauvais ? On comprend que la psychologie, la psychanalyse, la philosophie moderne, pour libérer l’homme de cet asservissement, aient combattu fermement l’idée de péché, la culpabilité qui en résulte et l’irresponsabilité de l’homme… 3 1.4.4 Résultats : Dès lors que reste-t-il de l’homme ? Le nihilisme naît de la conviction que l’on ne peut rien espérer de bon de l’homme. Ce dernier est compris à partir d’un pessimisme radical qui, à la limite, appelle l’homme au suicide. Le monde n’a pas d’autonomie, de consistance propre, de valeur en lui-même… Ainsi, par la critique et la négation du sacré, émerge un nihilisme envers la nature ; et par la conviction du péché, se propage un nihilisme à l’égard de l’homme et de la société. Aucun remède, aucune solution pour l’homme, sinon celle, pour Ellul, de la foi dans le pardon et dans la grâce de Dieu. 1.5 Comment cela s’est-il produit ? (170). Comment a pu se pervertir le discours de la révélation chrétienne ? Comment a-t-on inversé la « vie de Jésus » (171) jusqu’à en faire une source du nihilisme contemporain ? C’est un peu comme le socialisme qui, visant le bonheur et la liberté de l’homme, est-devenu le stalinisme ou le marxisme, les dictatures impitoyables que nous avons connues… Pourtant, aux origines, il n’y a pas de plus totale négation du nihilisme que le christianisme, que la révélation chrétienne… En son mouvement premier, la foi est un antinihilisme (171) qui combat l’absurde et le non-sens. N’insiste-t-elle pas sur le fait que la Création n’est pas abandonnée à ellemême et qu’elle trouve sens et orientation dans l’acte créateur lui-même ? Que Dieu, par son Esprit, agit de manière paradoxale dans le monde et dans l’histoire, qu’il s’est rendu présent par sa Parole, dans la figure de son Fils et que l’être humain, porté par la grâce et le pardon est institué en responsabilité, en dépit de sa faillibilité, de ses manquements, excès et dérives… Malgré de tels correctifs, le renversement s’est pourtant opéré. En raison d’un triple processus : 1.5.1 La transformation du vécu mouvant de la relation en situation stable, acquise et définitive. On a troqué l’histoire contre la métaphysique et figé, en un système défini et saisissable, explicable et répétitif, ce qui est mouvement imprévisible, événement surprenant et inattendu. 1.5.2 L’objectivation : l’oubli que la révélation se donne dans une relation toujours personnelle et ne peut jamais s’abîmer dans un texte figé, un règlement, une Loi. Dans ce processus d’objectivation, on imagine alors que la parole recueillie est valable en soi. Qu’elle est vraie dans sa lettre, dans son contenu. Qu’elle est aussi généralisable, applicable à tous et partout…, donc, au final, normative et scientifique… A partir d’une telle objectivation, la parole est toujours soumise à critique, réfutation et contestation… Or, le christianisme n’a jamais été autre chose qu’une mutation de la personne fondée sur la foi personnelle dans une révélation… (171). 1.5.3 La dissociation : plutôt que de tenir ensemble des éléments qui sont en tension, certains théologiens ont voulu distinguer jusqu’à séparer et opposer… Or Dieu n’est pas où l’un ou l’autre… Il est à la fois transcendant et immanent, celui qui se manif

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